mardi 12 février 2013



Réforme de la Formation Initiale en                 Masso-Kinésithérapie 
Maurice GIROUD  
Formateur en IFMK
osons une autre option…



Fort de mon cursus professionnel  de Masseur-Kinésithérapeute clinicien ayant exercé en activité libérale et salariée, de Cadre de Santé ayant assuré des missions d’encadrement de terrain et de direction d’équipes pluri-disciplinaires, assurant à ce jour une mission de formateur en Instituts de Formation initiale en Masso-Kinésithérapie et au sein d’organismes assurant de la formation professionnelle continue, je me permets ici d’exprimer mon modeste point de vue sur la réforme des études telle qu’elle est aujourd’hui envisagée.


Par cette approche qui se veut prioritairement pragmatique et non partisane, je souhaite aujourd’hui interroger  notre profession sur la vision unique vers laquelle elle semble être tournée au travers d’un consensus « mou ». A savoir la seule planche de salut serait la poursuite des travaux de réingénierie de la formation initiale et son « universitarisation »  dans le système plus large du L.M.D. Européen.
La lettre « de cadrage », en date du 25 Janvier 2013, signée des deux Ministres des Affaires sociales et de la Santé d’une part et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche d’autre part, respectivement Mme Marisol  TOURAINE et Mme Geneviève FIORASO, définit clairement le positionnement du Diplôme d’Etat au grade de Licence.
 Dans le même temps nous apprenons que le Diplôme d’Orthophonie est positionné au grade de Master. 

Une analyse s’impose au travers de plusieurs regards.
1°) L’approche sociale et/ou sociétale.
Qu’attend de nous, Masseur-Kinésithérapeutes, aujourd’hui notre société française ?
Nos citoyens souhaitent, en sollicitant nos services, rencontrer des professionnels à part entière orientés vers l’approche clinique, c’est-à-dire tournés vers l’écoute et la compréhension du cas exposé, capables de réaliser des examens et des tests précis, permettant d’alimenter un diagnostic, c’est-à-dire d’émettre un avis professionnel , argumenté, circonstancié et engagé face à cette situation. Cette étape franchie, ces mêmes usagers ayant pris connaissance de cette analyse experte de leur état, souhaitent aussi se voir offrir un projet de résolution de leurs problèmes de santé par ce même professionnel. Ils s ‘en remettent donc légitimement et en connaissance « entre ses mains ».
Voici donc la priorité affichée : celle de former des praticiens et cliniciens qui maitrisent les techniques physiques du domaine de nos compétences.
C’est pourquoi, à mon sens, il ne faut pas s’écarter dans toute réforme proposée, de cette exigence fondamentale.
Parallèlement nous pouvons dire que tout le travail entrepris depuis sa création par des professionnels engagés ont permis d’atteindre deux choses essentielles au niveau du grand public, notre identification et leur reconnaissance.

Quel est le contexte d’évolution vers lequel s’orientent les sciences médicales et paramédicales ?
Les interventions des professionnels médicaux et paramédicaux sont sensées aujourd’hui se faire en référence avec les données admises de la science. C’est donc le domaine de  l’ « Evidence-Based Medicine » qui se définit comme une médecine factuelle, qui s’appuie sur l’utilisation consciencieuse et judicieuse des données actuellement connues et reconnues.
Dans le monde d’une approche consumériste du soin en général, on ne peut pas ne pas en tenir compte. Il faut en effet devenir crédible dans ses argumentations et justifications. De fait le support des références admises par études peu discutables et parfois par consensus est indispensable.
Et pour faire vivre ce support, que la profession s’engage, au travers de certains professionnels à haut niveau de connaissances méthodologiques et fondamentales, est une chose très compréhensible.
C’est pourquoi, à mon sens, la demande de pouvoir avoir une place dans les rangs universitaires, dans les instances de développement et de recherche qu’elles soient du domaine de la recherche fondamentale ou clinique, qu’elles appartiennent aux établissements publiques dévolus à cette mission ou qu’elles s’inscrivent dans le monde de l’entreprise, devient un axe légitime.

2°) La réalité de la Formation Initiale à ce jour et ses incidences démographiques.
Aujourd’hui  40 IFMK assurent la formation initiale (20 de statut public, 20 de statut privé dont 5 à but lucratif). Ces IFMK différents par leur nature, leur organisation, leur structure et leur taille forment environ un peu moins de 2500 étudiants(es) par an.
Différents changements réglementaires dans la gouvernance de ces instituts opérés au cours de ces dernières années ont diminué le rôle d’implication et de contrôle des autorités de tutelles et renforcé le niveau décisionnel et organisationnel des directions des IFMK.  De fait la notion de Diplôme d’Etat tend, semble –t-il, de plus en plus à disparaître au profit d’une notion de Diplôme « d’Ecole ou d’Institut », ceci complété par les orientations pédagogiques spécifiques que prennent aujourd’hui certains instituts au-delà du cadre réglementaire de référence qui fige le contenu de la formation et qui date du 05 septembre 1989.
A cette formation initiale vient, par année, se surajouter le nombre croissant des autorisations d’exercices de professionnels étrangers qui pour cette année 2012 peut être apprécié à ce jour à environ 1500 (fourchette basse d’après la coordination nationale des commissions régionales d’autorisation d’exercice)
De fait environ 4500 nouveaux professionnels viennent chaque année alimenter  le monde professionnel de la  Masso-Kinésithérapie dans notre pays.
Cela fait que nous sommes très au-delà des données officielles connues et relatées dans le dernier rapport de l’O.N.D.P.S. de Janvier 2011 qui notait 70780 professionnels et un taux de croissance annuel de 2,8%.
Certains pensent encore qu’il y a un déficit de professionnels sur notre territoire, ce qui n’est plus à mon sens la réalité d’aujourd’hui et de notre avenir immédiat, le pic de départ à la retraite de nos ainés ayant été atteint. Si le monde institutionnel est apparemment en déficit numérique de ces équipes c’est pour une toute autre raison qui est plutôt d’ordre de l’attractivité. La preuve en est que certaines équipes encore managées par des cadres professionnels orientés corps de métier, font le plein de leurs effectifs et ne connaissent pas de problème de recrutement.

3°) La maquette proposée pour la nouvelle réforme, via  « l’universitarisation ».
Sans rentrer ici dans le détail de cette maquette, puisque certains de mes confrères l’ont déjà présentée de façon claire et synthétique dans la presse professionnelle, je veux exprimer quelques observations :

Une sémantique de présentation des domaines, des unités d’enseignement, des activités et des compétences qui est complexe, sans doute trop savante, surement « jargonnante », qui s’écarte du registre professionnel connu et maitrisé, qui n’est plus ancrée dans la pratique clinique et dans l’approche pragmatique du métier et qui reste  prioritairement conceptuelle.
Je demande donc à ceux qui ont été à l’origine de cette maquette, qu’ils nous délivrent non seulement le glossaire qui nous servira à décrypter les données formulées, mais également les items professionnels qui viendront les alimenter.

Une structure d’approche différente de l’apprentissage actuel, puisque le sain et le pathologique seront approchés dans le même temps pédagogique. La distanciation indispensable et nécessaire pour construire l’analyse, la compréhension puis la comparaison des situations ne se fera plus avec le même ancrage et la même solidité. Les premiers «  tours de roue » de la réforme de l’actuelle PACES (ex PCEM1), au regard des premiers intéressés que sont les formateurs et les étudiants intégrés en Médecine permettent aujourd’hui de repérer cette tendance.

Une formation densifiée sur 6 semestres. Déjà la formation actuelle, proposant un premier cycle basé sur une seule année qui en volume horaire correspond à 2 années universitaires et l’ensemble des 3 années de formation qui correspond en volume horaire à 5,43 années universitaires, est déjà considérée comme dense, ardue et parfois vécue par certains comme maltraitante. Augmenter globalement le nombre d’heures dans la même unité de temps est de fait impensable, même si on semble vouloir y privilégier les temps personnels et les temps personnels guidés.

Une formation qui n’apporte plus ou plus suffisamment les substrats fondamentaux de l’exercice clinique (pour exemple : anatomie descriptive, fonctionnelle, architecturale, histologique…, physiologie des structures et systèmes organiques, biomécanique arthro- tissulaire, des fluides..). Sur ces enseignements, le formateur en IFMK pouvait, jusqu’à présent, proposer des raccourcis étoffés et argumentés de connaissances aux étudiants(es), alors que maintenant on va à nouveau leur demander de « réinventer l’eau chaude » en les amenant à découvrir par eux-mêmes. Certes le nouveau projet, en dégraissant ces enseignements, propose d’étoffer d’autres unités d’enseignement autour de la méthodologie de recherche et des sciences humaines.

Un profil d’étudiant qui en parallèle évolue. Munis d’une formation primaire et secondaire qui manque souvent de repères et de structures solides pour aborder le monde professionnel dans lequel ils s’inscrivent en rentrant dans nos instituts de formation professionnelle et « professionnalisante », les étudiants(es) en Masso-Kinésithérapie ont besoin de guides, de règles, de reprises pour remise à niveau , de suivi individualisé pour conquérir de la confiance en eux et des valeurs comme  le sens de l’effort et de la ténacité.
Partir avec un présupposé d’une complète maturité leur permettant de gérer toutes les composantes de cet apprentissage est bien entendu une erreur pour la très grande majorité d’entre eux.

L’université avec un Grand U, existe-t-elle vraiment ? Chaque université fonctionne pour elle-même. Certes quelques règles générales entourent leur fonctionnement. De fait chaque institut pourra négocier certaines adaptations avec son université de rattachement.
A ce jour il existe encore à peu-près 1/3, voire 2/5 des IFMK qui n’ont pas contractualisé avec une université. Le feront-ils, le pourront-ils demain ?
Se pose alors la question de l’homogénéité de la formation et de fait la reconnaissance d’un niveau universitaire ou non.
On sait aussi que la mission de l’université, dans le cadre de l’enseignement universitaire facultaire, est d’amener l’étudiant(e) à un diplôme, mais nullement le(la) former à un métier.
On sait encore que l’université ne maîtrise pas ou que très faiblement les piliers de la formation en alternance.
En comparaison, remarquons ici que nos IFMK aujourd’hui, avec les imperfections qui les caractérisent, réussissent néanmoins chaque année une certaine prouesse, puisqu’en 3 années d’études ils amènent sur le marché du travail des nouveaux professionnels qui sont malgré tout immédiatement opérants et plutôt autonomes dans leur pratique. Ce qui montre bien qu’ils ont une bonne maîtrise d’œuvre en formant à un métier et non pas à la seule obtention du diplôme et en sachant organiser la formation par alternance qui est une des bases pédagogiques essentielles, puisqu’elle permet en parallèle l’apprentissage déductif et inductif, socle inaliénable de l’ancrage entre la compréhension conceptuelle et la réalité clinique, lui-même support de l’intelligence praticienne.

Le système LMD. Initialement  le processus Sorbonne-Bologne, initié à la conférence de Bologne le 19/06/1999 prévoyait un cadre commun aux formations supérieures de l’espace européen avec mise en place avant 2010 et réparti en deux cycles de formation et des équivalences de crédits, les fameux E.C.T.S (European Credit Transfert System). La justification de cela s’appuyait sur une forme d’harmonisation avec le système anglo-saxon basé sur les 2 niveaux « undergraduate » et « postgraduate ». Aujourd’hui on raisonne plus en terme de Licence-Master- Doctorat.
Ce cadre de référence est bien évidemment louable mais comment peut-on le faire vivre et est-il une finalité en soi, pour une formation professionnelle comme la nôtre ?
C’est là en s’appuyant sur l’expérience des professionnels de l’éducation nationale qui ont eu à gérer en leur temps la fermeture des I. U. F.M. pour intégrer dans l’université la formation des maîtres d’écoles, que l’on pourrait se dire : faut-il s’intégrer à l’université pour obtenir un grade Master ou plutôt  « Masteriser »  notre formation professionnelle ? Ces mêmes professionnels nous répondent clairement aujourd’hui que c’est cette deuxième voie qui aurait dû être choisie pour eux-mêmes.
Rappelons aussi que le L.M.D. arrête ses limites d’équivalence, par nature, aux limites de l’Europe. Celui qui veut aller travailler et exercer son art en Amérique du Nord, en Nouvelle Zélande, en Australie (Grandes Terres de la WCPT), se verra obliger de requalifier son diplôme tout comme aujourd’hui. (Pour 2 instituts délivrant en complément un diplôme universitaire, les étudiants(es) peuvent bénéficier d’un accès à la formation complémentaire pour le droit d’exercer au Canada)


4°) Que tirer de ces remarques ?
Cette invitation à finaliser les travaux que nous formulent les deux ministres, doit être transformée de toute urgence en une invitation à refonder les bases d’une vraie réforme qui reconnaisse vraiment le vrai niveau vers lequel cette profession a été tirée depuis des décades et non pas celui qui l’enterre dans une licence qui sera par nature professionnelle et dont  la vraie correspondance dans le système L.M.D. reste hypothétique.
Cette dernière voie qui est la voie résignée et dépitée vers laquelle un certain nombre d’entre nous semble vouloir aller, avec beaucoup d’autres autour de moi, je la refuse.
L’exemple de ce qui se passe au niveau des infirmiers(ères), nous montre bien que ce « copier-coller », qu’on veut probablement quelque part nous imposer, ne peut être une chose convenable pour nous.



C’est donc pour cela que je plaide ici 
pour la « Masterisation » de notre profession en organisant une formation en partenariat avec l’université et/ou le monde de l’entreprise, mais pas pour une formation intégrée dans l’université et en en gardant la maîtrise d’œuvre professionnelle sous supervision de notre instance ordinale.

Cette formation se réaliserait au sein d’Instituts ou d’Ecoles d’Ingénieurs en Masso-Kinésithérapie (ou Physiothérapie), comprenant :

une sélection sur dossier ou concours dans le cadre d’un numérus clausus sous double contrôle professionnel et d’état

un premier cycle de style « prépa-intégrée » en deux ans où seraient enseigner tous les fondamentaux socles de la formation et la mise en place des outils professionnels

un deuxième cycle de formation « professionnalisante » en 3 ans avec formation en alternance conduisant à l’intégration et l’adaptation de la réalité pathologique et à la production d’un réel  travail de recherche clinique et/ou fondamentale finalisé dans la dernière année de formation. Cela devant aboutir à un Diplôme Professionnel et à un grade de Master plein et entier (M2) dans le système L.M.D.


L’identification au travers d’un titre professionnel simple permet au grand public de trouver facilement ses repères et de reconnaitre le dit professionnel.
A cet égard nous pouvons affirmer qu’ avec comme seul titre de reconnaissance un Master, parmi  les 750 Masters existants aujourd’hui, et voire même plus, avec des libellés parfois très alambiqués, nous ne pourrions pas obtenir ce positionnement et cette reconnaissance spontanée au sein de nos concitoyens.
Au-delà du M2, quelle filière universitaire viendrait nous héberger et pour faire quoi?

Cette formation aurait comme priorité la formation de cliniciens et de praticiens qui, aux côtés des Médecins et des autres Professionnels de Santé, nourriront de leur expertise particulière, la sécurité de l’approche thérapeutique des patients. Cette formation devrait aussi favoriser l’émergence de professionnels qui voudraient s’orienter vers la formation, la recherche, la conceptualisation et la modélisation future de notre profession. (Là aussi, il faudra bien s’adosser à une section universitaire qui voudra bien de nous…).

Chaque institut gardant le statut d’aujourd’hui pourrait faire vivre cette formation comme il le souhaite sous contrôle de son conseil pédagogique et de l’ARS dont il dépend, et aurait  la possibilité de négocier avec d’autres partenaires internationaux pour obtenir des équivalences de diplômes et de fait des autorisations d’exercices dans d’autres pays hors de l’Europe.

Le modèle existe aujourd’hui dans un bon nombre d’Ecoles d’Ingénieurs ou de Commerce dont les performances sont reconnues internationalement.





Bon courage à nous tous….

Avec mes sincères salutations confraternelles et cordiales.
M. GIROUD       le 29/01/2013





P.S. : C’est en connaissance, des recommandations concernant la réforme de la formation émanant du CNOMK et du communiqué du CNOMK daté du 28/01/2013, de l’article APM International daté du 25/01/2013 et relatant la position de la FFMKR, du communiqué du SNIFMK daté du 29/01/2013,que j’écris ces lignes sans faire de commentaires directs à l’ensemble de ces publications et ceci pour éviter de m’inscrire dans toute polémique, à priori, estimant que la gravité de la situation ne le permet pas.

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